Aux moralisatrices et fossoyeuses des libertés

Lettre ouverte aux inquisitrices,
aux moralisatrices et fossoyeuses des libertés

Entre dix et quinze mille personnes louent des services sexuels chaque année en Belgique, principalement des femmes. Elles le font dans des conditions précaires sans bénéficier des mêmes droits que les autres citoyens et que les femmes en particulier.

Les mouvements féministes en Belgique ignorent d’ailleurs leurs revendications, leurs conditions de travail n’hésitant pas à jeter l’opprobre sur leur activité.

Ce n’est pas nouveau en effet, la prostitution oppose l’establishment féministe et les prostituées dans une guerre larvée dont le débat est absent. Les mouvements féministes considèrent en effet toujours les femmes prostituées comme une sous – caste féminine qu’il convient de ramener dans le droit chemin, entendez celui de la désaliénation de leur corps de femelle. Les féministes n’ont peut être pas pardonné aux prostituées d’avoir été touchées plus tardivement par la libération sexuelle.  » Alors que la moindre parole féminine vaut de l’or, celle de la prostituée ne vaut pas tripette. Elle est considérée d’emblée comme mensongère ou manipulée. Façon cavalière de se débarrasser de leurs objections, façon méprisante de les considérer.  » .

Il est intéressant de voir combien les travailleuses du sexe ramènent à l’actualité la question du sexe, de l’épanouissement sexuel et surtout la question du consentement sexuel. Gail Petherson en Hollande, Elisabeth Badinter et Marcella Yacub en France animent pourtant à merveille ce féminisme contestataire qui rappelle à l’envi que la question de la libération des femmes passe aussi par le droits des putains. Que leur reproche-t-on à celles qui instrumentalisent leur corps pour quelques piécettes d’euros ? Leur absence de morale ? Leurs sujétions aux hommes, le port des jarretelles ou la nique aux convenances qui fait de la femme prostituée une chasseuse d’hommes ? Pourtant, les travailleuses du sexe revendiquent sans conteste le droit au respect, à la dignité dans leurs activités professionnelles. Ce qu’on leur reproche par-dessus tout c’est leur consentement. Elles ne se vivent pas comme des victimes mais réclament le droit de disposer librement de leurs corps. Leur analyse complaisante des rapports humains qui se fondent sur le quotidien du macadam permet aux prostituées de rappeler que les femmes ne sont pas des vertueuses, des innocentes et des femelles chastes. Le client, soulagé, anéanti, vidé de son surplus séminal sera pourtant rendu intact à la famille. Elles revendiquent le droit à l’auto détermination de leurs conditions et de leurs corps. Elles assument leur franchise sexuelle et rappellent que la verge ou le clitoris ne sont pas devenus impropres à la consommation une fois tarifés. Parce que ce n’est pas la multiplication des partenaires qui choque les féministes c’est la contractualisation de l’échange de service sexuel qu’elles contestent idéologiquement. C’est l’argent qui dénature le coït et non le nombre d’étalons qui enfourchent la belle. C’est bien l’initiative économique qui pose problème et qui fane l’image de la prostituée. Elle est autonome matériellement et sexuellement. Quelle injure à la société patriarcale ? Le parti pris idéologique des féministes talibanes prétend que la prestation des services sexuels est le comble de l’humiliation féminine tel un viol permanent et organisé.

Si la question de la prostitution divise les féministes, elle n’en reste pas moins une porte d’entrée intéressante qui révèle combien le mouvement féministe, si mouvement il y a, est resté figé, sclérosé et caricatural. Est-ce une question de génération ? On pourrait être tenté d’y croire mais à lire Elisabeth Badinter , on peut en douter. Les féministes talibanes s’acharnent pourtant à castrer les hommes, les culpabiliser sur leur consommation de prostituée ou de pornographie en pénalisant ceux qui auraient recours à ce type de relation diabolique : ces hommes qui sont nos maris, nos pères, nos frères, nos fils et nos amis. Cette position féministe sous des auspices sécuritaires et austères rappelle une certaine répression et censure des pratiques sexuelles. D’autres courants féministes, plus silencieux peut être, développent d’autres revendications notamment le dépoussiérage de la pornographie, mieux calquée sur les fantasmes féminins. Il serait intéressant de s’attarder aussi sur l’augmentation de l’usage des vibromasseurs, signe moderne d’une sexualité active chez les femmes où le plaisir est au centre de leurs préoccupations. L’augmentation des ventes de gadgets sexuels rappelle que, les femmes aussi, ont le goût du vice… La vertu n’a pas de sexe. Qu’on arrête de nous calomnier et de nous culpabiliser avec ce différentialisme sexuel.

Elisabeth Badinter rappelle avec justesse que le féminisme de ces dernières années, obsédé par le procès du sexe masculin et la problématique identitaire, a laissé de coté les combats qui ont fait sa raison d’être. La liberté sexuelle cède le pas à l’idéal d’une sexualité domestiquée. Le féminisme victimiste, comme elle l’appelle, a trouvé appui auprès de ceux et celles qui s’accordaient à démontrer que les femmes constituent une classe opprimée dont la sexualité est la racine manifeste de cette oppression. Les combats contemporains du féminisme pointent avec agitation la pornographie, le harcèlement sexuel et bien entendu la prostitution pour démontrer combien la domination masculine y atteint son paroxysme. Le féminisme d’aujourd’hui construit à outrance une image victimisante des femmes, manipulées par le grand patriarcat mondial.  » A confondre les vraies et les fausses victimes, on risque de se méprendre sur l’urgence des combats à mener « . Ce féminisme a forcément imposé une censure à la liberté sexuelle qui résonne comme une cassure avec le féminisme des années 70, sans doute plus provocateur et contestataire. Badinter le pointe à merveille :  » dès lors qu’une femme se sent en état d’infériorité comme par le harcèlement sexuel par exemple plutôt que de prôner une bonne paire de claques salutaires, les féministes ont appeler à la dénonciation qui se traduit par la victimisation de la femme bafouée et la judiciarisation de l’oppresseur « . C’est la naissance des chiennes de garde, meutes bourgeoises qui s’agitent avec circonvolution devant les vitrines des magasins de lingerie contre le port du porte- jarretelles. Chefs de meute, elles s’animent à nous rappeler qu’une bonne sexualité ne se conçoit que dans l’amour et le désir partagé. Belle morale que celle qui nous contraint à être hors la loi lorsqu’on est différente. Leurs combats désespérés pour la dénonciation tous azimuts du porno chic dans la publicité, l’interdiction du porno sur les chaînes de télévision et la répudiation des actrices porno et des putes comparées radicalement à des femmes esclaves et torturées, soumises au lynchage public ne sont que des signes annonciateurs d’un retour aux valeurs morales réactionnaires.  » Le féminisme bien pensant, drapé dans sa dignité, n’hésite pas à faire alliance avec l’ordre moral le plus traditionnel  » .
Comprenez que le porte- jarretelles et les talons aiguilles donnent une image dégradante du corps de la femme, comme si le port d’accessoires sexy étaient inversement proportionnels à l’adhésion aux thèses féministes. Ces féministes talibanes commettent l’énorme confusion entre féminité et féminisme. Aucune caractéristique n’appartient à un sexe propre. Les femmes aussi ne pensent qu’à leur jouissance et séparent sans état d’âme le sexe et l’affect. Que les sexologues osent nous prouver le contraire.

Elles devraient plutôt être attentives aux inégalités qui touchent nos sœurs dans de nombreux domaines : les femmes gardent le monopole des taches domestiques qui les privent toujours de l’accès à la sphère publique en les contraignant toujours à assumer la double journée de travail. L’aliénation du discours actuel où la qualité de la vie passe part un meilleur partage du temps de travail emporte les femmes vers le retour à la maison où elles pourront enfin mieux concilier travail et famille. Les places en crèches font toujours cruellement défauts et repoussent également les femmes au foyer. Les pauses carrières et des temps partiels insécurisent les femmes à petits salaires et fragilisent leurs indépendances économiques. Le prix exorbitant des contraceptifs et la mise sous tutelle des jeunes filles par les religions restent des combats plus pressants.

Enfin, il faut mettre fin à la vague d’indulgence qui impose des stéréotypes de la femme, comme un être supérieur qui réussit à accomplir certaines taches autrement que les hommes. Cessons de croire qu’elles font de la politique autrement ou qu’elles gèrent une entreprise avec douceur et maternité. Celles qui luttent et qui occupent aujourd’hui des places stratégiques ne font pas de la politique autrement. On peut être féminine et se battre comme une tigresse pour défendre la sécurité sociale, on peut être féminine et diriger un parti d’une main de fer, on peut être féminine et adopter des comportements virils en négociation, personne n’en détient le monopole. Non les femmes ne font pas la politique autrement parce qu’elles détiennent la puissance de procréer. La revendication de la parité n’est finalement qu’une stratégie, un outil de prise de conscience de l’absence de femmes en politique. Cette manœuvre réalisée, il ne nous faut pas tomber dans le piège inverse qui serait de déclarer que les femmes en politique, tous horizons confondus, ont seules le sens de l’humain, de l’écoute, comme affublées de qualités spécifiques parce qu’elles détiennent un clitoris plutôt qu’un pénis. Toujours dans le même registre des balivernes, certaines pensent qu’elles se dépensent en politique sans ambition professionnelle et par conséquent, elles seraient hermétiques au pouvoir par dévotion en s’investissant uniquement pour l’action concrète et les réalisations de terrain.  » Mais, à force de répéter que les femmes sont moins guerrières, moins vaniteuses, plus dévouées au combat pour la vie et la liberté, on trace en creux un portrait des hommes caricatural « . Ce féminisme est insultant pour les hommes, il convient de le dynamiter au plus vite.

Il appartient aux hommes et aux femmes qui se sont toujours battus avec passion pour la Liberté de réaffirmer que chacun est libre d’avoir les relations sexuelles de son choix qu’elles soient multiples, variées et hétérogènes. En conséquence aucune répression, aucune diffamation, aucune inquisition, publique ou privée, ne devra être exercée contre quiconque à propos de la sexualité tant que celle-ci se pratique entre adultes consentants. Comme toute liberté, la liberté sexuelle s’arrête à la frontière de la liberté d’autrui.

Catherine François

Sexologue- assistante sociale
Administratrice à Espace P…
Co-auteur du livre  » parole de prostituées «