Espace P….

Manifeste pour une approche progressiste du travail du sexe

Entre dix et quinze mille personnes vendent des services sexuels chaque année en Belgique. Ils le font le plus souvent dans des conditions précaires sans bénéficier des mêmes droits ni de la même protection sociale que les autres citoyens alors qu’ils partagent les mêmes devoirs. L’asbl Espace P… active sur le terrain depuis 1988 revendique une normalisation des conditions de travail dans le secteur du commerce du sexe.

Qui sommes-nous ?

Espace P… est une asbl créée en 1988 à l’initiative de médecins soucieux de mettre en place des programmes de prévention du sida adaptés aux travailleurs du sexe en Communauté française de Belgique. Nous développons aujourd’hui d’autres projets de santé dont une campagne de vaccination gratuite contre l’hépatite B qui a déjà profité à plus de mille hommes et femmes. Nous offrons aussi un accueil, une écoute et une aide tant individuelle que collective dans le respect le plus total des choix de vie des personnes. Nos trois modes d’intervention principaux sont la rencontre sur les lieux de travail, la tenue de permanences psycho-médico-sociales gratuites et la distribution d’un magazine d’informations à Bruxelles, Liège, Namur et Charleroi.

De qui parlons-nous ?

Notre propos concerne l’ensemble des hommes et des femmes qui sous diverses appelations vendent des services à caractère sexuel. Nous choisissons à dessein les termes  » travailleurs du sexe  » pour les désigner parce qu’ils renvoient à plus de réalités différentes que les termes  » personnes prostituées » et qu’ils sont moins connotés négativement.

Quelle est notre éthique ?

Nous affirmons notre plein accord avec l’article 3 de la Charte Européenne des Droits de l’Homme qui défend la liberté de tout citoyen de disposer de son corps. De même, il revient à chaque citoyen adulte la liberté et la responsabilité de sa vie sexuelle pourvu que la sexualité se pratique entre adultes consentants. En conséquence, seule nous semble légitime la lutte contre le travail sexuel forcé, contre la traite des êtres humains et contre la prostitution impliquant des mineurs. Nous voulons respecter les choix de vie des personnes quels qu’ils soient sans émettre de jugement moral.

Nos constats

  • Nous constatons que des personnes prennent la décision de travailler dans le commerce du sexe de leur plein gré. Nous constatons l’amalgame qui est pourtant souvent fait entre le travail sexuel et la traite de êtres humains ou la pédophilie amenant à considérer que tous les travailleurs du sexe sont victimes de proxénètes et de pervers. Nous constatons au contraire sur le terrain la complexité et la variété des motivations des travailleurs du sexe où interviennent tant des considérations économiques et sociales incontournables (besoin d’argent, non accès à l’aide sociale ou à un travail déclaré etc…) que des enjeux psychologiques. Nous constatons une multitude de profils de travailleurs du sexe et de clients différents . Nous l’affirmons : il n’y a pas une clinique particulière du travailleur du sexe et du client !
  • Nous constatons l’hypocrisie du système actuel qui refuse de donner aux travailleurs du sexe des conditions de travail normales avec un statut professionnel, un statut social et fiscal adaptés et qui nie l’existence pourtant bien réelle des employeurs. Nous constatons l’hypocrisie d’une législation qui tolère l’offre de services sexuels entre adultes consentants mais qui criminalise toute tentative d’organiser cette offre générant ainsi un contexte de travail à haut risque tant sur le plan de la sécurité que sur le plan de la santé mentale et physique pour des milliers de personnes en Belgique .
  • Nous constatons l’exploitation très fréquente des travailleurs du sexe et le manque d’efficacité du système actuel pour combattre cette exploitation quelle que soit la forme qu’elle prenne (1).
  • Nous constatons le manque de sécurité dont sont victimes les travailleurs du sexe et les clients sur les lieux de travail : agressions, rackett, insultes, menaces, viols, voire meurtres.
  • Nous constatons l’insalubrité de certains lieux de travail et leur inadaptation aux activités qui s’y déroulent notamment lorsque l’existence de pratiques sexuelles n’est pas reconnue.
  • Nous constatons le non respect des droits élémentaires des travailleurs dans le secteur du commerce du sexe: pas de règlement d’ordre intérieur, pas de prime de risques, pas de prime de nuit, pas de droit au congé de maternité, pas de mise en écartement pendant la grossesse… Nous constatons également l’absence de possibilité de se syndiquer, l’absence de convention collective fixant les droits minimum des travailleurs, l’absence d’accès structuré à des formations…
    * (1) Nous constatons le proxénétisme immobilier dont sont victimes les  » privées « : le peu de places disponibles fait monter les prix. Nous constatons les montants élevés remis par les serveuses, masseuses, entraineuses etc.. à leur employeur en fin de journée. Seule une dénonciation pour proxénétisme à la police accompagnée de preuves peut actuellement faire cesser l’exploitation mais le travailleur perd en conséquence son travail et parfois toute possibilité de travailler dans le quartier. Il s’expose en outre à un redressement fiscal. Nous constatons enfin l’exploitation de femmes victimes de la traite des êtres humains dans le secteur du commerce du sexe. Si la Belgique possède des lois adaptées pour lutter contre les trafiquants, nous regrettons les moyens dérisoires mis à la dispositions des enquêteurs, des magistrats et associations spécialisées en la matière. Même l’accueil en urgence des victimes mineures n’est pas systématiquement assuré !

Nos propositions et revendications

Nos propositions s’inscrivent dans la perspective d’une réglementation du travail du sexe en opposition au système abolitionniste actuel et au système prohibitionniste prôné par mesdames les sénatrices de Tserclaes et Lizin, systèmes qui cultivent l’utopie d’un projet de société sans prostitution espérant imposer une véritable chimiothérapie à la libido d’un nombre imposant d’individus et une réinsertion forcée aux travailleurs du sexe. Non, nous ne croyons pas à la possibilité d’une soumission totale des pulsions sexuelles à la raison et à la Loi ! Non, nous ne voulons ni d’un système de tolérance passive qui favorise l’exploitation et l’insécurité ni d’un système répressif qui moralise, clandestinise et augmente l’attrait pour le travail du sexe! Se prostituer n’est pas un délit. Recourir à la prostitution ne devrait pas l’être non plus pourvu que le ou la partenaire soit majeur(e) sexuellement, consentant(e) et non identifié(e) comme victime de la traite des êtres humains.

  • Nous proposons que le travail du sexe, quelle que soit la forme qu’il prenne, ouvre des droits et implique des devoirs au même titre que les autres activités lucratives. Nous proposons de réfléchir avec des spécialistes en droit social à un statut professionnel et à un cadre de travail adaptés aux différentes formes que prend le travail du sexe en Belgique. Nous demandons que cette question soit soumise à un débat public.. Nous demandons que les travailleurs du sexe soient concertés au cours de ce débat et les encourageons à se mobiliser pour améliorer leurs droits sociaux..
  • Plusieurs formes de travail sexuel doivent selon nous être dépénalisées et réglementées:
  • Nous demandons que soit reconnu le statut d’employeur de travailleurs du sexe et que ce dernier soit soumis à une législation spécifique dans le cadre du droit du travail et non plus du droit pénal.
  • Nous demandons que la publicité relative à l’offre de services sexuels soit dépénalisée et réglementée.
  • Nous demandons que la co-exploitation d’un même lieu de travail par plusieurs travailleurs du sexe soit dépénalisée et réglementée.
  • Nous voulons que la possibilité de l’exploitation d’un lieu de commerce du sexe par les pouvoirs publics soit débattue. Nous pensons qu’une gestion publique peut être favorable aux travailleurs du sexe.
  • Nous voulons que soit envisagée la possibilité d’une gestion par une société à finalité sociale.
  • Nous demandons aux pouvoirs publics de prendre des mesures pour garantir la sécurité sur les lieux où s’exerce le travail du sexe.
  • Nous demandons qu’un règlement d’ordre intérieur rédigé en concertation avec les travailleurs fixe les règles de conduite en vigueur sur les lieux du travail du sexe et que la liberté de refuser un client soit garantie.
  • Nous demandons que les travailleurs du sexe aient un accès effectif à une aide sociale, psychologique et médicale appropriée et à une information spécifique en matière de santé, contraception et stratégies pour se protéger des violences .
  • Nous demandons aux pouvoirs publics d’accepter et de réglementer des lieux où le travail du sexe puisse s’exercer afin que la concurrence puisse influer sur les prix, que la sécurité, l’accès à l’aide et à l’information soient assurées. Ces lieux doivent être adaptés aux activités qui s’y déroulent et contrôlés par les services d’hygiène et de sécurité.

Nos objectifs

  • Notre propos n’est pas de faire du prosélytisme, de banaliser ou enjoliver la réalité du travail impliquant la sexualité mais de repenser les conditions de travail d’un secteur aujourd’hui livré à lui-même et à l’arbitraire.
  • Notre intérêt est celui des travailleurs du sexe. Notre objectif est d’adapter les droits sociaux des travailleurs du sexe à la réalité de leur travail, de créer un cadre législatif et social de travail pour plusieurs milliers de personnes concernées .
  • Notre objectif est de rendre l’exploitation du travail sexuel d’autrui moins attrayante financièrement bien que légale.
  • Notre objectif est que le milieu du travail du sexe soit le moins clandestin possible, que l’accès des travailleurs à l’aide et à l’information soit le plus aisé possible et que la lutte contre la traite des êtres humains soit ainsi facilitée.
  • Notre objectif, enfin, est d’agir sur l’image du travailleur du sexe et du client dans l’opinion publique. Nous voulons combattre les clichés qui stigmatisent la personne prostituée, la présentant obligatoirement comme une victime, le client étant décrit comme l’abuseur.