Prostitution : Que le débat commence !

Carte Blanche  » le soir  » – 29 mai 2000

Je voudrais réagir à l’initiative d’un certain nombre de personnalités françaises qui ont co-signé un manifeste « le corps n’est pas une marchandise  » relançant le débat sur la prostitution. (N.O.du 18/05/2000). Deux courants aujourd’hui s’affrontent lorsqu’on aborde la question de la prostitution. Le courant abolitionniste s’épanche sur ce débat en dénonçant la prostituée comme une esclave sexuelle des temps modernes, qu’il faut réinsérer à tout prix, tout en appelant à pénaliser tous les hommes qui auraient recours à ce type de relation diabolique, ces hommes qui sont nos maris, nos pères et nos fils. L’autre courant, plus pragmatique, repose sur le principe du droit à disposer librement de son corps.

La problématique de la prostitution oppose l’establishment féministe et les prostituées, considérées par certaines comme une sous-caste féminine, sorte de luppen prolétariat qui a, peu ou prou, le droit à la parole. Il est vrai que les personnes prostituées ont été touchées bien tardivement par le mouvement féministe…Les travailleuses du sexe expriment un ensemble de droit autour de la question de l’indépendance : elles revendiquent le droit au respect dans la profession qu’elles exercent, elles en appellent au droit à la dignité et refusent le mépris de la société pour leur métier. Elles réclament la liberté et l’autonomie ainsi que le droit à l’autodétermination. Elles refusent également l’exploitation de leur propriétaire, le l’INASTI ou de certaines communes qui les taxent sur leur activité. Bref, elles réclament tout simplement le droit de se prostituer dans de bonnes conditions. Ce discours reste inaudible pour certaines féministes qui ne peuvent entendre qu’on revendique certains aménagements de vie dans la prostitution et non pas hors de la prostitution. C’est oublier qu’une des vertus premières du féminisme est la contestation, le débat et la lutte pour acquérir respect, égalité et émancipation de toutes les femmes. Evidement le postulat des militantes de la cause des prostituées est sensiblement différent de celui des féministes plus traditionnelles : les prostituées admettent en effet que les besoins sexuels des hommes sont irrépressibles et donc acceptent qu’une série de femmes soient disponibles sur le marché économique pour permettre de satisfaire des millions d’érections. C’est choquant mais tellement pragmatique ! Sans l’ombre d’un mélange entre le sexe et l’amour, les professionnelles du sexe se retranchent derrière leur vécu de tous les jours pour retrouver leur légitimité. Leur analyse complaisante des rapports humains qui se fonde sur leur quotidien du macadam, permet aux prostituées de légitimer leur savoir-faire sexologique. Parce que le savoir-faire, elles en ont : l’écoute, l’accueil, l’empathie pour tous les petits soucis quotidiens des clients dans leurs vies conjugales, leurs analyses dignes des plus grands thérapeutes….Fort heureusement, les personnes prostituées n’ont pas toutes un sentiment négatif à l’égard d’elles-mêmes. Elles revendiquent des compétences professionnelles particulières, elles assument leur franchise sexuelle qui rappelle les luttes des féministes qui réclamaient le droit au plaisir, le droit de pouvoir disposer librement de leur sexe et de leur corps. Que le lecteur ne s’y méprenne, dans le huis clos qui occupe la prostituée et son client, il sera toujours question de feindre le plaisir pour la prostituée : beau paradoxe mais c’est implicitement inscrit en caractère gras du contrat moral signé entre les deux protagonistes. Cela renforce la virilité des messieurs de penser que c’est l’extase décuplée pour la pute qu’il a levé 5 minutes plus tôt, cela fait tourner la tête des hommes… Cela dit, les hommes n’ont pas le monopole de la frustration sexuelle et du malaise sexuel ; c’est une évidence. Il serait peut-être plus égalitaire, dès le moment ou la prostitution patriarcale existe, qu’elle se modifie dans le sens d’une plus grande ouverture en faveur du contingent masculin mis en disponibilité sur le marché du sexe, faisant de nos fils et nos maris des pourvoyeurs de service sexuel à destination des femmes majoritairement. Les top-modèles louent leurs corps aux plus grands couturiers, les psychologues vendent leur analyse pour traiter sans tabou l’intimité de l’inconscient de leurs patients : Qu’y aurait-il de choquant à louer les services sexuels d’une femme ou d’un homme consentant ? Est-ce que le phallus ou le clitoris serait devenu impropre à la consommation une fois qu’il serait tarifié ? Il n’appartient à personne de décider ce qui est digne et indigne de la personne humaine. Le respect de l’autre ne vient pas du type de comportement sexuel pratiqué, dès le moment où l’échange a lieu de manière consentante et entre adultes. La dignité et le respect de soi ne sont pas liée à la pratique sexuelle.

Je plaide pour l ‘éradication de la prostitution forcée, la fin du proxénétisme et la fin des coups, de la brutalité et de la violence. Il faut que le monde de la prostitution cesse d’être une caste inaccessible. Je souhaite qu’un certain confort et dignité accompagne l’exercice de l’activité, confort qui refuse que chacune travaille dans la clandestinité, confort qui permet à chacune de se valoriser dans l’exercice de l’activité dès le moment où cette activité est reconnue par la société et appréciée sans tabou ni rejet ni dégoût. Je redoute l’absence de droit qui continue à enfoncer les femmes prostituées dans une certaine dépendance aux arbitraires et à la marginalisation. Je réfute la condescendance actuelle qui continue à considérer la femme prostituée comme une délinquante, une femme compromise, une femme de petite vertu, une femme méprisée. La prostitution cohabite de manière étrange avec la morale et l’éthique. Si elle pose problème c’est parce qu’elle interpelle nos valeurs, bouscule nos idéaux, ébranle nos rapports ambigus avec l’argent, s’abreuve de nos carences affectives et menace très certainement l’ordre établi familial et sexuel. C’est une question qui nécessite un débat politique courageux alors que le débat commence !

Catherine François

Sexologue et Conseillère communale à Saint-Gilles ;
Membre de l’asbl Espace P…
(association d’aide et d’émancipation des personnes prostituées).